La crise du covid est avant tout une grande crise sociale, donc un puissant accélérateur et révélateur des tendances lourdes de la société : surexploitation, contrôle social, paupérisation, réduction de la vie sociale aux seules activités sources de profit (produire de la merde/vendre de la merde/acheter de la merde), liquidation des droits démocratiques (par la réduction de ces droits à d’impuissants simulacres), etc. Il en résulte deux conséquences, contradictoires et étroitement liées :
- Notre manière de faire de la politique a été bouleversée, ce qui nous met à l’épreuve : plus moyen de se rassembler, de manifester, d’occuper la rue comme avant. Deux voies étaient possibles et combinables : soit retrouver les méthodes des périodes de grandes répressions (se réunir et agir en cachette, agir par surprise, provoquer ponctuellement un rapport de force en notre faveur, se soustraire à la répression en se soustrayant au flicage, etc), soit exploiter à fond les dernières méthodes autorisées (visioconférences, réseaux sociaux, etc.)
- La base sociale de la lutte révolutionnaire s’est élargie et radicalisée : toutes les forces révolutionnaires que nous connaissons ont intégré de nouveaux membres et élargi leur cercle sympathisant. Ce phénomène concerne tous les courants politiques et toutes les formes d’organisation (centralisées, horizontales, affinitaires…). Même les forces qui ont réagi a minima (désertant la rue, s’enfermant sur internet), ont connu un développement ! C’est donc le positionnement révolutionnaire qui trouve un nouvel écho : derrière le virus, c’est le système qui est de plus en plus largement perçu comme le problème. Évitons-donc de surestimer nos choix respectifs.
Les ouvertures que la crise offre à la gauche révolutionnaire pèsent plus que les difficultés qu’elle crée, et les conditions sont donc favorables à notre lutte, ce qui nous place face à une occasion historique.
La saisir exige d’abord d’admettre nos défauts pour les dépasser : sectarisme (à chacun sa petite boutique), arrogance (« nous sommes les vrais révolutionnaires »), lâcheté (devant la violence, devant la répression), encroûtement (perpétuation machinale des mêmes pratiques, radotage sans fin des mêmes discours…), perméabilité aux processus de récupération du système (quand les initiatives d’auto-organisation populaire deviennent de l’associatif subventionné), dépendance culturelle envers la bourgeoise, incapacité à s’auto-organiser collectivement pour répondre aux problèmes qui apparaissent en notre sein (sexisme, racisme,…)
La saisir exige aussi de ne pas croire à un déterminisme historique qui amènerait automatiquement cette sourde mais profonde colère populaire vers une alternative progressiste, collectiviste, internationaliste. Les forces réactionnaires, d’abord tétanisées par la crise du covid, parce que leur cheval de bataille (l’immigration comme source de tous les maux) avait disparu du paysage, a su se redéployer et trouver des thématiques pour proposer leur agenda.
Il faut donc être capables de proposer une alternative vivante et concrète en ces temps de crise, faute de quoi non seulement nous aurons laissé passer cette occasion, mais nous serons balayés comme réalité politique et comme projet social.
Proposer une alternative révolutionnaire vivante et concrète, c’est faire des choix de mobilisation qui lient la théorie à la pratique, qui lient le particulier au général, qui touchent au quotidien en éclairant l’horizon. C’est toujours une dialectique difficile.
Le succès d’initiatives récentes puis les difficultés qu’elles ont rencontrées permettent de tirer une première réflexion et de risquer une généralisation. Plusieurs initiatives de lutte et d’auto-organisation collectives, sortant des cadres habituels, comme le retour en force de l’agenda féministe, les brigades de solidarité populaires, le mouvement zadiste, la campagne de réquisition solidaire, etc., ont connu un moment de rupture offensive soulevant l’enthousiasme, puis l’installation dans une routine qui a entraîné une désaffection, voire une crise (la désaffection exacerbant les contradictions internes). Ces crises ont parfois été directement comprises et traitées (ainsi dans la CRS qui a pensé sa métamorphose pour garder son caractère de rupture), parfois plus indistinctement subies. Cependant, tout met en évidence l’importance de la dimension antagoniste et offensive dans nos choix.
Assumer une position de rupture et d’antagonisme, faire vivre et développer l’alternative révolutionnaire, desserrer l’étau de nos limites et des mesures policières pour passer à l’offensive sur les enjeux exacerbés par la crise, voilà quel doit être notre agenda, notre perspective stratégique commune, en ce jour symbolique du 1er mai plus que jamais.