Le succès de masse de la mobilisation du 14 octobre, et le mépris avec laquelle elle a été accueillie par l’Arizona, n’ont échappé à personne. Nous n’y reviendrons pas. Cette journée a sublimé la formule proposée par les syndicats – car proposer une journée d’action par mois (voire moins dans cette séquence) est le meilleur moyen d’étouffer un mouvement avec juste ce qu’il faut d’effet de soupape pour le garder sous contrôle. Donc, succès de foule, mais aussi blocages et affrontements. Ces derniers ont donné lieu à une campagne de presse violente, amplement nourrie, voire provoquée, par des « sources policières » (1).
Il y a un peu plus, je vous le mets tout de même ?
Cette vague d’articles, n’est que le dernier épisode d’une campagne qui a déjà été analysée (2) : elle en reprend la rengaine de « l’infiltration » de mouvements de protestation par des forces de la gauche révolutionnaire comme C3. Ce faisant, elle met simplement les choses cul par dessus tête. Les luttes du travail contre le capital et son état, la solidarité avec la Palestine et les peuples opprimés, la libération de la femme, la lutte contre la destruction de l’écosystème, etc, ont toujours été des fronts de lutte pour la gauche révolutionnaire – et la gauche révolutionnaire en a souvent été parmi les forces ayant donné naissance à ces mouvements.
Ces mouvements avaient à leur naissance un fort caractère anticapitaliste. Pendant des décennies, ils ont été largement assimilé/neutralisé par le système, ils se sont éloignés de leurs racines révolutionnaires. Mais le bilan lamentable des structures collaborationnistes, de l’Association Belgo-palestinienne au parti Ecolo en passant par la FGTB, ramène la perspective révolutionnaire au premier plan.
Remarquons en passant que le narratif de l’infiltration a touché ces jours-ci à l’extrême – et disons-le au ridicule. Non seulement cette presse assure que « derrière » les affrontements il a une paire de groupes, mais elle affirme que « derrière » ces groupes il y a une seule personne, un ancien militant des CCC en l’occurrence…
Si le narratif de « l’infiltration » trahit toujours une volonté de dédouaner le système de la colère qu’il provoque, ce scénario particulier révèle que la crainte que les CCC ont fichue à la bourgeoisie, avec si peu de moyens, pendant si peu de temps, et il y a si longtemps, continue à la hanter 40 ans après.
Enfin, la patte de la police est évidente dans cette campagne de presse. La police y laisse voir sa vision du monde et ses intentions spécifiques : pour qu’en Belgique la classe accepte pacifiquement de se faire progressivement réduire à la misère, pour que la jeunesse assiste passivement à un génocide, pour que la population laisse paisiblement le capitalisme rendre l’écosystème inhabitable, il suffirait de neutraliser une poignée de Saint-Gillois·e·s….
Mauvais procès mais bonne question
Mais peut-on dire que la gauche révolutionnaire se développe ? En un sens inévitablement : l’effondrement moral et politique, les compromissions et la corruption de la gauche démocrate réformiste se combinent à la brutalité sociale de la droite libérale autoritaire pour ne laisser à la classe que la perspective révolutionnaire.
Donc ce développement existe mais certainement pas comme le fantasment les journalistes à solde et les experts à la petite semaine. C’est une tendance lourde, sourde, profonde.
Nous avons beaucoup travaillé à faire de C3 une organisation efficace et pertinente, mais nous sommes sans illusion : ce n’est pas l’action de petits groupes, qui ont existé de tout temps, qui font naître la colère contre un système d’oppression, de misère et de destruction.
C’est la violence même de ce système.
Quant au développement de la gauche révolutionnaire en tant que force organisée, il est bien en deçà des exigences du temps. Alors oui, les blocages et les initiatives offensives du 14 octobre doivent être remarqués (3). Mais que nous sommes loin du compte…
La gauche révolutionnaire reste incapable de contribuer à la transformation de la souffrance et la colère sociale en action transformatrice.
Ses organisations et collectifs, à commencer par le nôtre, restent bien en-deçà des exigences du temps. La gauche révolutionnaire reste chicaneuse et geignarde, timorée et irrésolue, prisonnière de vieux schémas et de son manque de détermination.
La presse et la police du capital voient en nous un danger.
Elles nous font beaucoup d’honneur.
Il serait temps d’en devenir un.
Classe contre classe, le 20 octobre
NOTES
(1) Presque toutes les menaces d’extrême gauche proviennent de cette commune : qui étaient les vandales vêtus de noir lors de la manifestation ? (Gazet van Antwerpen, 14 octobre) ; Un ancien membre du groupe terroriste CCC a-t-il fait dérailler la manifestation syndicale ? (Knack, 15 octobre) ; De CCC à Code Rouge : comment les anciennes structures alimentent les nouvelles protestations d’extrême gauche (Morgen 15 octobre) ; Les CCC sont-elles de retour ? Comment les émeutes à Bruxelles remettent à l’avant plan l’extrême gauche belge (VRT, 15 octobre) ; Bertrand Sassoye, le chevalier blanc de l’extrême gauche (Standaard 15 octobre) ; L’« inspirateur » des émeutiers est Bertrand Sassoye, barman et ancien membre du CCC (Gazet van Antwerpen, 16 octobre 2025) ; Ce communiste condamné à perpétuité a-t-il appelé à des émeutes à Bruxelles ? (Het Laaste nieuws, 15 octobre) ; Le « meneur » des émeutiers est Bertrand Sassoye, barman et ancien membre du CCC (Nieuwsblad – 15/10/2025) ; etc.
(2) Voir ici : https://bruxellesdevie.com/2024/11/24/tribune-saint-gilles-la-ou-les-medias-preparent-la-repression-de-la-gauche-revolutionnaire/
(3) La presse, qui connaît son camp, s’offusque des dégâts à l’hôtel Hilton et à cette machine à broyer des vies qu’est l’Office des étrangers. Nous qui connaissons le nôtre, nous souhaitons aux manifestant·e·s gazé·e·s jusqu’à suffocation et matraqué·e·s au sang, un prompt rétablissement.