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Quand l’OCAM fait de l’OCAM (et que certains s’en étonnent)

L’affaire a fait les gros titres : une fuite d’un rapport de l’OCAM qui met en garde contre la radicalisation du mouvement climat suite aux initiatives de Code Rouge et de Stop Arming Israel.

Anuna De Wever, une des fondatrice du mouvement Youth for Climate visé par l’OCAM, a déclaré courageusement : « Pendant des années, nous avons fait campagne et tenté d’apporter des changements de la manière la plus passive et la plus symbolique qui soit. Mais le gouvernement est resté silencieux. (…) Pendant ce temps, la jeunesse climatique a grandi et s’est familiarisée avec les mouvements et les nombreuses générations d’activistes qui ont relié les différents systèmes d’oppression et les différents modes de résistance depuis des siècles. (…) Le flot quotidien d’images de massacres, c’est la seule histoire. Tout le reste n’est que distraction.”

Pour un état qui sacrifie chaque jour l’écosystème au profit (et qui soutient un état génocidaire), les gains en maturité politique de la « génération climat », le fait qu’elle constate que les protestations inoffensives et pacifiques n’apportent rien, n’est pas matière à « distraction » mais matière à préoccupation. Ce qui préoccupe un système, et la classe qui en profite, c’est d’abord sa survie, ensuite sa stabilité. C’est à cela que sert l’état et ses divers organismes. La fonction de l’OCAM est justement de signaler tout ce qui pourrait sortir du champ inoffensif des protestations déclamatoires et symboliques, et il a joué ici son rôle.

D’autres réactions évoquent non pas une « distraction », mais un « instrumentalisation » du rapport de l’OCAM. Les analyses de l’OCAM, voire l’OCAM elle-même, seraient instrumentalisés pour service d’un agenda répressif tous azimuts. Que la droite et l’extrême-droite soient politiquement et idéologiquement à l’offensive, c’est bien clair – comme il est bien clair que la solidarité avec la Palestine ou le mouvement climat sont, parmi d’autres, dans le collimateur. En ce sens, on peut dire que les rapports de l’OCAM servent aujourd’hui une politique plus répressive que précédement. Mais la dénonciation d’une « instrumentalisation » souffre, en suivant un autre biais, de la même faiblesse que la dénonciation de la « distraction ». Là encore, la réaction occulte le fait que l’OCAM est, en tant que rouage de l’état, nativement, consubstanciellement et structurellement une officine de la contre-révolution. Ce n’est pas une structure neutre livrant des analyses neutres qui seraient soudainement et scandaleusement instrumentalisée par la NVA ou le MR.

La seule instrumentalisation politique dans cette affaire, c’est la fuite du rapport – mais certainement pas le rapport lui-même. L’OCAM est une structure politique, comme l’état est une structure politique, comme la police est une structure politique. Pas parce qu’il serait lié à l’agenda du PS, de la NVA ou du MR, mais parce qu’il sert une forme d’organisation sociale et politique. Son premier patron, André Vandoren, était un « politique » dans le sens le plus large, et cela depuis son début carrière dans les années ‘80, comme substitut, lorsqu’il était en charge la répression des CCC.

Le réformisme est tellement ancré historiquement dans la gauche en Belgique, y a bénéficié d’une telle hégémonie, que son influence idélogique est suffocante, jusque dans la gauche révolutionnaire. Nous ne voulons pas revenir ici sur la question du réformisme (voir ici): nous voulons insister sur la manière dont il contamine nos perception. Et dénoncer l’OCAM, l’état, le parlement, ou la police comme autant de structures fondamentalement neutres mais présentement aux mains de la droite ou servant des agendas de droite, c’est une vision profondément réformiste. Tout ce qu’on peut en déduire, c’est que ces structures pourraient être aux mains de la gauche et servir un projet anticapitaliste.

La question des syndicats est de celles qui divisent la gauche révolutionnaire. Il y a un vaste éventail d’analyses, entre celle de l’Organisation Communiste Révolutionnaire qui veut tirer les syndicats sur la gauche et celle du Courant Communiste International qui les considère comme des « flics du patronat » à combattre. Qu’il y ai des débats s’explique : les syndicats étaient à l’origine une instance de notre classe, avant de devenir un outil aux mains de l’ennemi de classe. C’est aussi une réalité contradictoire avec une base et une direction, une réalité en évolution, une réalité avec presqu’autant de facette qu’il y a de délégation. Nous pouvons comprendre que certains hésitent à identifier les syndicats comme un ennemi en tant que tel. Mais l’OCAM… franchement…

C’est il nous semble une faiblesse idéologique de la gauche révolutionnaire. Pas une faiblesse théorique parce que tant les collectifs anarchistes que les organisations marxistes savent à quoi s’en tenir sur l’état, sur la police etc. Nous ne prétendons rien apprendre à personne là-dessus. Mais force est de constater que cette lucidité théorique est trop souvent sans conséquence dans le champ du discours et de l’action militante. Au contraire, s’y substitue le plus souvent une approche contaminée par les catégories du réformisme. Des discours peuvent bien reprendre des formules comme le « racisme structurel de la police », mais ils finissement par signifier « vilaines habitudes profondément ancrées et insuffisament réprimées » – et absolement pas « structurel » au vrai sens du terme.

D’où le focus sur les bavures policières et non sur le rôle social de la police.

D’où les sempiternels appels aux organes du système : commissions parlementaires, organismes de contrôle (« comité P » etc.), tribunaux (qui devraient condamner les policiers coupables), etc.

Cette déviation se manifeste, à des degré divers, dans toute la gauche radicale, jusque dans nos rangs, jusque parmi les ACAB les plus déters. Le poids du réformisme est tel qu’inévitablement, ce sont ses catégories, ses pratiques, ses approches qui se présentent les premières à l’esprit, qui semblent les plus évidentes. La lutte contre l’influence du réformisme est pareille à celle contre l’influence du libéralisme : elle est de tous les moments et elle concerne tout le monde.

Nous nous doutons bien que, pour certains, l’usage de procédés hérités du réformisme est considéré comme « tactique » – et dans le cadre de la tactique, effectivement, pourquoi pas ? Mais quand la tactique emplit tout l’horizon, la stratégie disparaît, et c’est ainsi que la gauche révolutionnaire entretient et perpétue une des plus puissantes armes de son ennemi : l’illusion que son appareil de domination de classe n’a rien à voir avec la domination de classe.

En résumé pour cette affaire, l’OCAM a fait de l’OCAM.

Rien de nouveau, rien d’étonnant.

L’eau dort, mais l’ennemi veille.

Classe contre classe

10 juillet 2025